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LA 628-E8

— Hé ! Hé ! Ouvrez donc !… C’est nous !… Je suis M. de Balzac !…

Inutilement.

D’autres passants arrivent. Mme de Balzac s’est assise sur une malle, très lasse, la tête dans ses mains. Balzac va, vient, explique toujours :

— Je suis M. de Balzac… Je n’aurais jamais cru… C’est extraordinaire !

Enfin on amène le serrurier, qui enfonce la grille… Suivi de ses amis nocturnes, qui tiennent à le protéger contre on ne sait quoi, Balzac traverse la petite cour très vite, entre dans la maison. Et alors s’offre à ses yeux le plus surprenant spectacle. Le valet de chambre François Munck est devenu subitement fou. Il a saccagé le souper, éparpillé et cassé la vaisselle. Les meubles dansent dans les pièces ; les fleurs partout jonchent les parquets. Une bouteille brisée achève de répandre, sur le tapis, un liquide mousseux. Et le malheureux se livre à mille extravagances. On s’empare de lui, on le maintient et on l’enferme à clé dans une petite chambre. Il se laisse faire sans trop de résistance, et il rit plus qu’il ne se défend. Le calme revenu, Balzac remercie ses vaillants amis, s’excuse, les reconduit, fait rentrer les bagages dans la cour, et se couche. Il étouffe, il a la fièvre. Affalée dans un coin de la chambre, et de plus en plus énervée, Mme de Balzac ne songe même pas à quitter son manteau de voyage, et pleure « toutes les larmes de son corps ».

Ce petit drame l’impressionna vivement. Elle y vit les plus mauvais présages.

Hélas ! une réalité plus douloureuse, qu’ils n’avaient pas osé s’avouer encore, avait précédé ces présages de malheur. Ce n’étaient plus des présages ; c’était le fait brutal, inexorable, d’une situation définie.