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LA 628-E8

rencontre à Neuchâtel, qui fut d’une mélancolie si comique, jusqu’en 1848, date du dernier voyage en Russie de Balzac, ils ne se sont vus que quatre fois. Quatre fois en quinze ans ! Trois fois à Wierzchownia, une fois à Paris où, après la mort de son mari, Mme Hanska est venue, avec sa fille, faire un court séjour, sous un nom d’emprunt… Pour des êtres qui vivaient surtout par le cerveau, quel meilleur moyen que l’absence, d’éterniser un sentiment qui ne résiste pas, d’ordinaire, aux désenchantements quotidiens de la présence, aux brutalités du contact ?

Durant ces visites, la désillusion ne vient pas, ne peut pas venir. Balzac ne veut rien compromettre et il est sous les armes. Il se surveille, il se maîtrise. Il met un frein aux débordements de sa personnalité ; il adoucit les rugosités de son caractère, ses manies. Il se fait câlin, félin, très tendre, enfant. Il est charmant, et soumis. Et il est malheureux aussi, car, en plus de l’admiration et de la tendresse, il demande de la pitié. On le méconnaît, on le calomnie, on le persécute, lui qui n’est que grandeur, sublimité, génie ! Il sait être gai à l’occasion, mélancolique quand il faut l’être, à l’heure de ces crépuscules russes, si pénétrants et si profonds !… Avec son habileté coutumière, par de beaux cris, il sait exploiter tous les attendrissements d’une âme éprise et conquise. Même dans leurs moments d’exaltation, ils ne se livrent jamais, et toujours ils se mentent. N’est-ce donc point là le parfait amour ?

Lorsque Balzac part, lorsqu’ils se quittent – pour combien de temps, hélas ! – ils n’ont pas connu une seule minute de lassitude, de déception. Au contraire. L’absence va redonner plus de jeunesse, plus de force à la passion. Tous les deux, dans l’attente héroïque de se retrouver, ils vont faire une provision nouvelle