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BORS DU RHIN

plus beaux bras du monde, un teint d’un éclat irradiant. Ses yeux très noirs, légèrement troubles, inquiétants ; sa bouche épaisse et très rouge, sa lourde chevelure, encadrant, de boucles à l’anglaise, un front d’un dessin infiniment pur, la mollesse serpentine de ses mouvements, lui donnaient à la fois un air d’abandon et de dignité, une expression hautaine et lascive, dont la saveur était rare et prenante. Très intelligente, d’une culture étendue mais souvent brouillée, trop « littéraire » pour être émouvante, trop mystique pour être sincère, elle aimait, dans la conversation, s’intéresser aux plus hautes questions, où se révélait l’abondance de ses lectures bien plus que l’originalité de ses idées. Elle n’était ni spirituelle ni gaie et manifestait, en toutes choses, une grande exaltation de sentiments. Au vrai, un peu déséquilibrée et ne sachant pas très bien ce qu’elle voulait…

— En somme, me disait d’Aurevilly, telle quelle, elle valait la peine de toutes les folies.

Il ne l’avait connue qu’après la mort de Balzac, et pas longtemps. Il m’avoua que la continuelle présence de Jean Gigoux dans la maison de la rue Fortunée, sa vulgarité conquérante d’homme à femmes, son cynisme à se vautrer dans les meubles de Balzac, son affectation de rapin à « cracher sur ses tapis », lui furent vite une chose intolérable, odieuse… À peine présenté chez Mme de Balzac, il ne reparut plus chez elle. Mais, jusqu’à la fin de sa vie, il avait conservé, de cette figure entrevue, un souvenir impressionné.

Nous ne connaissons guère Mme Hanska que par les lettres de Balzac, car je veux négliger ici les indications qui me viennent de Jean Gigoux (elles pourraient paraître suspectes et d’une psychologie bien courte). Et encore, nous ne pouvons pas toujours