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LA 628-E8

On lui offrait, cette fois, un moyen, un peu mystérieux, de correspondre. Beaucoup eussent jeté ces lettres au panier, car je suppose qu’en ce temps-là les correspondantes littéraires, semblables à celles d’aujourd’hui, n’étaient, le plus souvent, que de très vieilles femmes hystériques ou réclamières… Balzac conserva pieusement ces lettres, y répondit.

Au cours de cette correspondance, il apprit, non sans une joie enivrée, que l’Étrangère était une grande dame… Naturellement, elle était jeune, belle, comtesse, « colossalement riche », mariée à un homme qu’elle n’aimait pas, supérieure par l’intelligence et par le cœur à toutes les autres femmes. Cet esprit si averti, si aigu, si profondément humain, croyait, avec une ferveur théologale, aux grandes dames. Comme M. Paul Bourget, à qui ce trait commun suffit pour vouer à Balzac une admiration passionnée, et pour se croire lui-même un Balzac, il raffolait de titres et de blasons. Tout de suite, il se mit à aimer, éperdument, la grande dame inconnue. Tout de suite, pour conquérir son estime, pour émouvoir sa sensibilité, il étala devant elle sa vie difficile, lui confia ses projets, ses rêves, ses rancœurs, ses luttes incessantes, le long martyre de son génie. Son imagination aidant, il bâtit, sur la fragilité distante de cet amour, le plus merveilleux de ses romans, et peut-être, déjà, la plus solide de ses affaires.

Barbey d’Aurevilly, qui aimait toujours à parler de Balzac et de ce qui avait rapport à Balzac, m’a fait de la comtesse Hanska ce portrait. Elle était d’une beauté imposante et noble, un peu massive, un peu empâtée. Mais elle savait conserver dans l’embonpoint un charme très vif, que pimentaient un accent étranger délicieux et des allures sensuelles « fort impressionnantes ». Elle avait d’admirables épaules, les