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BORDS DU RHIN

pourvu que l’on soit très duc, très cardinal, ou très riche, pourvu aussi que cela ne se sache pas, ou qu’elle soit seule à le savoir. Indulgente au mal qu’on ignore, elle est impitoyable au malheur qui se sait. Elle ne pouvait ignorer que Balzac fût affreusement gêné dans ses affaires. Il avait eu des entreprises désastreuses, avait failli sombrer dans une faillite retentissante. Il avait des dettes, des dettes vilaines qu’il se tuait à payer et dont, en fin de compte, il est mort. Comme un sanglier, au milieu des chiens, il fonçait sur toute une meute de créanciers, avides et bruyants. Cela manquait par trop d’élégance. Aucun respect de la propriété, d’ailleurs. Généreux et fastueux, comme tous ceux qui n’ont rien, l’argent ne lui tenait point aux doigts, l’argent des autres. Il achetait des bijoux, des vieux meubles historiques, des terrains, des maisons de ville, des maisons de campagne, s’offrait, au mois de janvier, des paniers de fraises, des corbeilles de pêches, qu’il dévorait, dit un chroniqueur du temps, avec une « gourmandise pantagruélique ». Il paraît que « le jus lui en coulait partout ». Est-ce que M. Viennet, poète obscur, vénérable et facétieux, se livrait à de telles débauches, lui ?… Il mangeait à son dessert des figues sèches, comme tout le monde…

— Qu’il paie d’abord… qu’il vive petitement… nous verrons ensuite, disait M. Viennet.

Balzac n’a pas payé… Il n’a payé qu’en chefs-d’œuvre : monnaie qui n’a pas cours à l’Académie.

Ses affaires ? On s’en est beaucoup moqué ; on s’en moque encore. De la naïveté, peut-être ; de l’indélicatesse, qui sait ? En tout cas, de l’ignorance et de la