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méprisent la France pour sa frivolité agressive et vantarde, et qui l’admirent seulement — en la méprisant toujours — pour l’élégance de ses femmes, de ses modes, pour la qualité unique de ses plaisirs et de sa corruption. Patriote, quoi qu’on dise, je me serais bien gardé de lui enlever cette dernière illusion.

Le restaurant se vidait… Et, comme on nous apportait une troisième bouteille d’un vin de Moselle mousseux, je vis, à une table, voisine de la nôtre, devant un général superbe, raide, monocle à l’œil, éclatant, très rouge d’être sanglé, plus rouge d’avoir énormément bu, je vis deux officiers, deux capitaines de cavalerie, qui, en s’inclinant, venaient de faire sonner leurs talons. Et je le regardai, le vieux brave, qui, sans broncher, les laissait plus d’une minute dans une humiliante immobilité, le coude levé à hauteur de la tempe, les fesses indécemment tendues au bord du dolman bleu de ciel. Après quoi, d’un geste sec, il les congédia.

Alors, je dis à von B… :

— Mon ami… parlez-moi de l’Empereur d’Allemagne.



Le Surempereur.


— L’Empereur ? me dit von B… après un temps, et avec une légère grimace… Ma foi ! je me sens fort embarrassé pour vous parler de lui… Si bien qu’on croie connaître un homme, — surtout un homme de ce calibre-là, — on ne le connaît jamais complètement, et l’on risque d’être injuste envers lui… Et puis… diable !

Il tira de la glace la bouteille en robe de buée, remplit nos verres de ce vin pétillant qui fait, dans la bouche,