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Je crois bien qu’il parla encore de réassurances contre le doute, les désillusions, puis encore de bourses d’assurances, de risques des risques, de mutualité individualiste, d’individualisme collectiviste et, toujours et à tout propos, de la statistique…

Dans toutes les conversations de ce philosophe, le passé de l’humanité, l’avenir du monde, évoluent aisément. Je croyais entendre débiter le prospectus d’un Crédit International de l’Ataraxie universelle. Mais ce que je me rappelle le mieux, c’est que son regard lucide était bordé de paupières d’un rouge de sang, comme en ont certaines figures de Poussin ; que son nez s’était encore allongé, depuis notre dernière rencontre ; que sa barbe, qui fut châtaine quand j’étais blond, se désargentait, jaunissait autour des lèvres minces, sur lesquelles je voyais, avec confiance, à coups de paroles et jets de salive, se construire le bonheur de l’humanité… Qu’importait alors que certains chiffres, les milliards surtout, eussent une si mauvaise odeur ?…

À tout petits pas, nous étions arrivés jusqu’à sa table, auprès d’un de ces verres où je lui vois boire, depuis quelque quarante ans, ce même thé blond, dont un fleuve a passé par son corps.

Une fois de plus, Weil-Sée me démontra qu’il allait incessamment faire cette fortune mondiale, qu’il lui fallait…

— Tout simplement, mon cher, pour arriver, entre autres, à décupler la puissance du microscope et en construire un qui grossisse l’objet soixante mille fois… soixante mille fois, c’est absolument indispensable. Mais ce n’est pas tout… Il me faudrait aussi des températures… ah ! des températures, à cuire, en bloc et en douze heures, l’univers, comme une plaque de céramique…