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remplies de saumons. Un gamin, à la porte, nous offrait des cartes postales : des églises aux tours penchées, des moulins à vent… des canaux, encombrés de barques… Il ne se passait rien que de monotone et de quotidien. La vie coulait, devant nous, comme chaque jour, devant cette boutique, elle coule douce, paisible, avec son petit bruit de sabots sur les dalles de la rue. Et, pourtant, je me sentais parfaitement, enthousiastement heureux. J’avais, en moi, une joie violente de cette douceur, de ce bruit de sabots, de ce silence des visages, de cette jolie fille aux bras nus qui nous servait sans empressement, de ce thé qui était très mauvais, de ces tasses de Chine, qui ne venaient même pas des fabriques de Delft, de cette écœurante odeur de cacao, qui flottait dans la boutique, de ces maisons en face, petites maisons naïves, comme on en voit, comme on en achète, pour les arbres de Noël, dans les magasins de jouets, à Nuremberg… Il me semblait que c’était le bonheur, et que j’eusse vécu là le reste de ma vie. Impression qui n’était pas nouvelle en moi. Chaque fois que je m’arrête quelque part, n’importe où, et qu’il y a un peu d’eau, des arbres, et, entre les arbres, des toits rouges, un grand ciel sur tout cela, et pas de souvenirs… j’ai peine à m’en arracher.

Il me fallut faire un effort pour me lever et partir…




La découverte de Claude Monet.


Pour la première fois, je considérai, sans y retrouver les anciennes images d’un bonheur devenu si amer, ces canaux où vient se glacer et mourir la vigueur du Rhin.