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en France, avec sa femme et trois enfants qu’il avait déjà… Ses yeux brillaient en parlant de Paris. En dépit des promesses, il n’avait pu trouver une situation sortable… Le ménage s’était installé dans les environs de l’Hôtel-de-Ville, et vivait mal de petits commerces variés, entre autres, du commerce des confetti.

— Qui n’a pas ses confetti ? scandait sa voix, à contretemps…

Ce cri et sa gaieté apprise étaient ridicules, sur ce quai, parmi cette foule en guenilles, et ces bateaux en partance…

— Qui n’a pas ses confetti ?

J’en étais mal à l’aise.

Un associé « pas juif, non, mossié », rencontré « boulévard Ornano », l’avait volé, et un mardi-gras pluvieux achevait sa ruine. Fatigué de lui faire crédit, le logeur, un jour d’hiver, arrachait sa porte, et, aidé de deux camelots, tirait du lit la femme enceinte, culbutait les enfants, jetait tout le monde à la rue.

Il avait bien porté plainte, mais, devant le tribunal, le logeur, qui avait amené des témoins, eut, tout de suite, raison de lui qui n’en avait pas. Les pauvres gens n’ont jamais de témoins… Il fallut se désister pour éviter une condamnation.

— J’ai pleuré dé la rage, j’ai pleuré, mossié…

Cet homme qui, depuis, avait dû connaître tant de misères, de deuils, de ruines, de violences, ce pitoyable monument d’infortune s’arrêtait complaisamment aux moindres détails de cette injustice.

— En France, mossié !… En France !… Ach !…

Un peu de bave salissait le coin de ses lèvres. Son haleine me repoussait. Et cette insistance me troubla jusqu’à l’angoisse.