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Les haines qu’il déchaîne ne lui sont pas encore préjudiciables, à lui ; elles s’émoussent et se brisent sur sa cuirasse d’or. Elles n’atteignent en plein cœur, en pleine vie, que les petits, que les pauvres, comme toujours. On se venge sur eux, innocents, des excès de ce brigand, qui semble — à l’exemple des aristocraties déchues, dont, par de honteuses alliances, il s’efforce de redorer les blasons ternis, de remplir les coffres vides — n’avoir rien appris et tout oublié. Lui qui, jadis, tout au long de sa belle et terrible histoire, fut un des plus nobles éléments du progrès humain, lui qui se devait à soi-même et devait à sa race, toujours proscrite, d’être l’éternel révolté, le voilà devenu le complice et, le plus souvent, le trésorier de toutes les réactions, même de la réaction antisémite, la plus hideuse, la plus barbare de toutes… Et c’est pourquoi, ces malheureux, chargés de ses crimes à lui, partent à la recherche d’un pays libre, — en existe-t-il ? — où d’être juif cela ne soit pas une irrémédiable honte.

Et de ces pauvres diables que j’écoutais parler, avec une pitié amère, combien, de continents en continents, poursuivront leur course errante, sans un seul des cinq sous, leur espoir, dont continue de les leurrer la Providence qu’ils se sont inventée ?… Sur mille, un reviendra à bord d’un paquebot magnifique, dans une cabine dorée, il reviendra ostentatoire, insolent, conquérant, et il trahira ses anciens compagnons de misère, et contribuera à faire pire leur infortune éternelle.


Pogromes.


Sur un sac de hardes, un peu à l’écart, un homme était assis qui retint, un peu plus longtemps, mon attention.