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Le malheur est qu’elle est déjà prise. Je veux croire que les uhlans auraient plus de peine à y pénétrer que dans Nancy. Mais pourquoi feraient-ils cette folie inutile d’y pénétrer par la force ? Leurs familles y pullulent, y dominent, solidement installées en des places où la garde civique ne les délogera pas facilement.

Mais voici des rues noires, des chaussées que l’on dirait faites avec de la poussière de charbon ; des maisons crasseuses, saurées, une foule de petits cabarets louches, de petites auberges borgnes, de petites boutiques, d’étranges petits comptoirs, tassés les uns contre les autres… tout un mouvement trépidant de tramways qui cornent, de locomotives qui sifflent, de lourds camions… Et des figures boucanées, des figures exilées, des figures d’autre part, de nulle part et de partout… des entassements de sacs, des piles de caisses, des barriques roulantes… et des douaniers, affairés, méfiants, martiaux, qui, contre de pauvres choses mortes, lancent leurs sondes, comme des baïonnettes, en vertu de ce principe que le commerce, c’est la guerre…

Et tout cela sent la suie, le poisson salé, l’alcool, la bière, l’huile grasse, le bois neuf, le vieux cuir et l’orange…

Et voici les docks, par-dessus lesquels des vergues et des mâts se balancent, le long desquels de grosses cheminées développent, sur le ciel, la noire chevauchée de leurs fumées… et, de place en place, par un échappement de lumière, entre de lourds madriers, entre de grosses silhouettes sombres, voici clapoter, moutonner, les eaux jaunissantes de l’Escaut.

C’est le port.