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me tarde d’être au port d’où m’arrivent déjà, à pleines bouffées, les bonnes, les fortes, les délicieuses, les enivrantes odeurs de salure et de coaltar.

Anvers est une grande ville. Ce serait même la seule véritable grande ville belge, si ce n’était, en réalité, une ville allemande. Allemands, tous les gros armateurs, les gros banquiers, les gros marchands, les ingénieurs ; allemandes, les maisons de courtage, les maisons d’arbitrage, les compagnies d’assurances maritimes, de navigation, d’émigration ; allemand, tout ce qui entreprend quelque chose et travaille à s’enrichir, tout ce qui dresse un plan, lave une épure, combine des chiffres, brasse les affaires et l’argent.

Du moins, l’affirment avec ostentation, avec éclat, les enseignes dorées qui resplendissent aux façades des maisons, et les maisons elles-mêmes, les gares, certains monuments publics qui affichent cet orgueilleux monumentalisme que l’Allemagne a pris à l’Amérique, et dont l’Amérique, peu à peu, dote toutes les capitales modernes, sauf Paris qui, artiste, élégant, arbitre du goût, s’obstine à multiplier, en nos rues, l’aspect alourdi, parodique, d’un dix-huitième siècle de pacotille et de caricature.

C’est à Anvers, dans un immeuble d’affaires, que j’ai vu, pour la première fois, en Belgique, ces ascenseurs allemands, sorte de trottoirs roulants, perpendiculaires, que l’on prend en marche, que l’on quitte en marche, et qui, sans s’arrêter jamais, mènent jusqu’au toit et redéposent à la rue, dans un vertige, ces gens agités qui accourent de la Bourse ou qui s’y ruent.

Le Roi a obtenu des millions pour fortifier Anvers. Ces fortifications ont de la prestance. Les Belges en sont très fiers. Ils prétendent que la ville est imprenable.