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l’association médicale

maine, tout à fait analogue aux cultures microbiennes ?

La bibliothèque de Dofre offrait à ma documentation de très volumineux dossiers dans lesquels il avait résumé ses travaux de nombreuses années. Cet homme extraordinaire me les laissait feuilleter en toute liberté, les éclairant de ses souvenirs et de ses commentaires, dans des heures d’abandon et de confiance auxquelles succédaient de longues périodes de silence farouche, qui m’eussent fait sentir, n’eût été ma personnelle application de moine bénédictin, le froid et tombal isolement du vieux logis.

Dofre n’avait plus fait aucune allusion à mon équipée à travers la Pinède ; il semblait que ce sujet l’embarrassât et, au demeurant, il n’était pas aisé de connaître sa pensée, car il ne disait jamais que ce qu’il voulait laisser perdre. En tout cas, et quelle que fût ma curiosité pour un monde que je n’avais fait qu’entrevoir et qui, seul, motivait en somme mon séjour à Capdefou, je sentais bien que, provisoirement du moins, il s’opposerait de toute son autorité à ce que j’y pénétrasse de nouveau. Et si j’osais, par de discrètes allusions, lui marquer mon désir, il prenait aussitôt l’attitude d’un homme qui ne veut rien entendre. Lui-même affectait quelque insouciance pour le petit univers qu’il avait créé ; sans doute montait-il quotidiennement à l’observatoire et inspectait-il l’horizon avec la gravité soucieuse d’un capitaine de navire, mais il en redescendait sans une parole. Jamais je ne le vis pendant cette période franchir le mur de l’enclos, ni entrer dans la chapelle, ce Sinaï d’où sa voix impérieuse, à travers l’orage des grandes orgues, avait lancé ses commandements au Mané lilliputien.

Pour tout dire, je m’impatientai, en mon for, de ces longues semaines d’attente à côté de la merveille qui m’était cachée jalousement ou du moins que Dofre me débitait chichement, comme tenant en laisse mon appétit de connaître. Pourquoi m’avait-il appelé en ce pays perdu, s’il devait m’y traiter ensuite en importun ? Je concevais, certes, qu’il eût été ému par les désordres dont ma venue était la cause. Mais enfin, ne les avait-il pas prévus et acceptés d’avance ?

Et les choses en étant à ce point, pourquoi n’avait-il pas pris le parti de me présenter à ses créatures comme une sorte de divinité amie, ce qui aurait éteint toutes les dissensions et coupé court aux difficultés ? Tout au contraire, il avait, en démentant mon apparition trop certaine, et, disons le mot, en me niant, corroboré chez ceux qui m’avaient vu ou qui avaient cru en moi sur témoignage, une opinion hostile à son omnipotence. J’attribuai son embarras à cette erreur diplomatique et je résolus d’y mettre fin, quoi qu’il m’en coûtât, en disparaissant. Aussi bien, l’automne s’avançait et ma jeune activité souffrait d’un aussi imparfait emploi. Je ne me dissimulais pas qu’après avoir vu cela, toute existence me paraîtrait terne et toute étude dénuée d’intérêt. Mais quel supplice pour un homme d’étude, de ne pouvoir que jeter des regards furtifs sur les plus passionnantes réalisations d’un autre homme !

Pourtant, quand j’annonçai mon départ prochain, je compris que je m’étais donné un maître et que je ne m’appartenais plus. Les regards étincelants de Dofre m’effrayèrent.

— Pensez-vous, me dit-il avec brusquerie, que mon