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l’association médicale

— Je ne vous ai pas montré, dit-il, la chapelle du château. Elle est d’ailleurs d’un art détestable : au XVIIe siècle, les constructeurs d’églises manquaient de génie ; le fil mystique était coupé. Mais enfin, ils firent de la solennité et de l’opulence.

Et, me précédant, majestueusement drapé dans les plis blancs de sa robe d’intérieur, il poussa successivement plusieurs portes. La dernière s’ouvrait sur le chœur d’un oratoire, construit en effet dans le goût emphatique de Mansard et dont un lourd baldaquin d’autel, porté sur quatre grosses colonnes de marbre vert à chapiteaux de bronze tourmenté d’acanthes, me cachait à l’arrivée presque toute la nef. Je donnai un coup d’œil à la voûte en berceau, semée d’étoiles sur champ d’azur, et aux boiseries sculptées et dorées qui habillaient les murs.

L’autel derrière lequel j’étais resté jetait sur toute la salle de vives lueurs, celles d’un buisson ardent de cierges, et je n’osais parler, par respect, bien que la chapelle fût vide de clergé et de fidèles, comme si ce curieux homme m’eût introduit en profane au milieu d’une cérémonie du culte. Mais quel que fût mon étonnement de tout ceci, j’étais assez maître de moi pour donner toute l’attention d’un musicien au magnifique orgue à tuyaux dont les buffets remplissaient tout le chœur.

— Vous regardez cet instrument ? me dit mon compagnon. De hasard en sauriez-vous jouer ?

— Assez mal, fis-je, mais néanmoins je ne suis pas tout à fait ignorant si les leçons que me donna César Franck en mon adolescence rétive ne sont pas oubliées.

— Parfait ! continua Dofre d’un ton péremploire. Vous allez monter au clavier et y jouer ce que bon vous semblera jusqu’à ce que ma voix vous impose silence. Je vous ai dit que j’attendais une visite, et la musique ne peut qu’ajouter à la majesté du cérémonial. Mais il importe à mes desseins que le musicien, caché derrière l’autel, reste invisible. Allez !

J’étais si tenté d’essayer le merveilleux instrument que je ne résistai pas à cet ordre un peu vif. Dofre s’éloignait et, de la sellette élevée où je m’étais assis, à l’orgue, je vis émerger son buste au-dessus de l’autel. Il s’y tenait, appuyé, attendant, face à la porte ouverte de la chapelle, par où entrait le murmure de la forêt.

Au hasard du souvenir, j’attaquai un prélude de Bach, que suivit une fugue, puis un second prélude. L’âme divine du vieux Jean-Sébastien chanta si pure, dans les tuyaux magiques, que toute l’ambiance était oubliée. Dofre lui-même était pris par le charme ; il n’interrompit point, mais, sur la cadence du second prélude, comme je prenais moi-même un repos, il parut saisir l’instant et parla dans le silence.

— Approche-toi, Mané, dit-il. Je suis le Maître, et tous les hommes de la forêt sont mes esclaves. C’est moi qui vous ai donné la paix et les fruits de la terre. Humilie-toi, car je t’ai appelé pour te demander ce que ce peuple a fait de la paix que je lui avais donnée.

À ces paroles, ma surprise fit telle que ma main porta de tout son poids sur le clavier. L’orgue rendit un mugissement. Je me souvins alors que ma présence ne devait pas être soupçonnée et je m’immobilisai… Pourtant la chapelle était toujours apparemment vide et je voyais Dofre parler seul dans le brasier des cierges.

Mais il se fit comme un sanglot d’enfant et une petite voix grêle articula avec volubilité, sur le ton de la prière, des phrases que je saisissais mal. Je compris qu’on demandait grâce avec un embarras qui rendait le discours fort prolixe et difficile à suivre, bien que prononcé en ma langue maternelle.

Il était question de mon équipée, évidemment. On disait que des femmes, en oraison dans le temple, avaient entrevu un être gigantesque dont la bouche crachait le feu et la fumée (cette allusion à ma pipe me fit sourire : n’est-ce pas d’interprétations de ce genre que naît le surnaturel des légendes ?) Dans leur effroi, ces femmes avaient parlé et semé la nouvelle qu’un maître aussi puissant que l’Ancien et plus jeune d’as-