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petites hordes se pillant et se massacrant constamment les unes les autres. Comme on ne possède aucun document sur cette époque, cette représentation rentre aussi dans la catégorie des romans anthropologiques. Et ce roman est forgé pour le besoin de défendre une thèse. En démontrant que la guerre a sévi de tout temps et que, néanmoins, l’humanité s’est civilisée, on veut démontrer que la guerre a fait la civilisation.

S’il était possible de prouver que l’humanité n’a pas pu commencer par la guerre, un coup très sensible serait porté au darwinisme social. C’est ce que je m’efforcerai de faire dans ce chapitre en serrant d’aussi près que possible les arguments que l’on fait valoir.

Mais d’abord une objection subsidiaire. M. Guyot dit que l’homme a toujours commencé par le vol : « capture des animaux, chasse, cueillette des fruits » ; et M. de Molinari, « qu’il a commencé à demander sa subsistance au vol et au meurtre ». Il est absolument abusif de dire que cueillir des noix de coco ou tuer des moutons pour les manger soient des vols et des meurtres. Assurément ces deux actes enlèvent la vie à deux êtres. Mais les mots vol et meurtre, dans le langage usuel, s’appliquent seulement aux rapports des hommes entre eux ou, à la rigueur, aux rapports entre des êtres semblables auxquels il est plus avantageux de s’allier que de se combattre. MM. Guyot et de Molinari l’entendent bien ainsi puisqu’ils disent : « de même dans les rapports entre semblables, le premier moyen d’acquérir a été le vol » ; et : « la guerre était une nécessité pour les sociétés ». Le mot guerre n’est certainement pas employé ici dans le sens d’extermination des animaux, c’est-à-dire de chasse[1]. Il est évident que, si les

  1. Mais même si l’on voulait entendre par « vol et meurtre » la seule destruction des plantes et des animaux, on ne serait pas en droit de dire que l’homme a « commencé » par ces deux faits. Commencer comporte le sens d’une action qui a été faite autrefois, mais qui ne se fait plus aujourd’hui. Par exemple, on peut dire : « l’homme a commencé par être uniquement fructivore ». C’est-à-dire qu’il a été uniquement fructivore autrefois, mais qu’il ne l’est plus maintenant. Or, dans cette acception exacte, la phrase de M. de Molinari n’est pas applicable à la destruction des plantes et des animaux. Cette destruction n’a pas cessé de nos jours. Au contraire, elle se poursuit sur une échelle infiniment plus vaste qu’à l’époque quaternaire. Le nombre des épis de blé dont nous tranchons le fil aujourd’hui, est infiniment plus grand que celui dont on tranchait le fil à l’âge de bronze. De même pour les animaux. Nous les détruisons sur une échelle beaucoup plus vaste qu’autrefois. Qu’on songe seulement aux bœufs tués dans nos abattoirs. Qu’on songe aussi aux bisons d’Amérique, complètement exterminés dans ces dernières années. On n’est donc pas en droit de dire que l’homme a commencé par le meurtre des plantes et des animaux. Pour être précis, il faut dire que l’homme a pratiqué ce meurtre sur une échelle de plus en plus vaste.