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LES DISCIPLES À SAÏS

que le jeune amant ne trouve pas exprimée, lui aussi, avec une vérité admirable, toute son âme lourde de fleurs, dans la jeune et pudique verdure des prairies printanières ? Et la luxuriance d’une âme qui vient de se baigner dans l’or du vin, parut-elle jamais plus précieuse et plus riante que dans une grappe de raisins lourds et brillants, qui se cachent à demi sous les feuilles ? — On accuse les poètes d’exagération, on se contente de leur pardonner, en quelque sorte, leur langage impropre et imagé, on se contente, sans approfondir davantage, d’attribuer à leur fantaisie cette Nature merveilleuse qui entend et qui voit un grand nombre de choses que d’autres n’entendent ni ne voient, et qui, dans un délire aimable traite le monde réel au gré de ses caprices ; mais il me semble que les poètes exagèrent encore bien trop timidement, qu’ils ne soupçonnent qu’obscurément les prestiges de cette langue, et qu’ils jouent avec la fantaisie comme un enfant avec la baguette magique de son père. Ils ne savent pas quelles forces leur sont soumises, quels univers doivent leur obéir. N’est-il donc pas vrai que les pierres et les forêts obéissent à la musique et que, domptées par elle, elles se soumettent à tous les caprices comme des animaux domestiques ? Est-ce que réellement les plus belles fleurs ne fleurissent pas autour de la bien-aimée et ne se réjouissent-elles point de la parer ? Le ciel, pour elle, ne devient-il pas plus serein, et la mer ne se calme-t-elle point ? Toute la Nature, aussi bien que le visage et les gestes, le pouls et la couleur de la