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LA NATURE

Bien peu n’oublient point, s’arrêtant aux détails, les chaînes étincelantes, qui relient les parties avec ordre et qui forment le lustre sacré. Bien peu sentent leur âme s’éveiller à la contemplation de ce vivant trésor qui flotte sur les abîmes de la nuit.

Ainsi diffèrent les vues de la Nature. Tandis que pour les uns son expérience n’est qu’une fête ou un banquet, là-bas elle se transforme en religion très attentive et elle donne à une vie entière sa direction, son attitude et sa signification. Déjà chez les peuples enfants il y avait de ces âmes graves, pour lesquelles la Nature était le visage d’une divinité, tandis que des cœurs plus légers ne s’en inquiétaient qu’en leurs fêtes. L’air leur était un breuvage enivrant, les étoiles étaient les flambeaux de leurs danses nocturnes ; les plantes et les animaux n’étaient pas autre chose que des aliments précieux ; et la Nature ne leur paraissait pas un temple calme et merveilleux mais une cuisine et un cellier joyeux. Il y avait aussi des âmes méditatives qui ne remarquaient dans la Nature actuelle que des dispositions, des aptitudes grandioses mais devenues sauvages et qui s’occupaient jour et nuit à créer des modèles d’une Nature plus noble. Ils se partagèrent l’immense travail. Les uns cherchèrent à réveiller les sons qui s’étaient tus et qui s’étaient perdus dans l’air et les forêts. Les autres déposèrent dans l’airain et la pierre le pressentiment et l’idée qu’ils avaient de races plus parfaites, reconstruisirent des rochers plus sublimes afin d’en faire des demeures, ra-