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INTRODUCTION

Il vécut ainsi avec cette amante invisible. Je citerai ici une page de son journal intime, une page que j’ai prise au hasard, car elles se ressemblent toutes, et, comme on le remarque fréquemment aux approches de la mort, sa vie devient sereine et monotone :

« 5 mai. — Quarante-huit jours après la mort de Sophie. De bonne heure, comme d’habitude, pensé à elle. Après, réflexions sur la critique. Puis, Meister. Après le repas, vives discussions politiques. Promenade. En chemin, méditation heureuse et profonde, notamment sur cette remarque de Gœthe : que bien rarement nous connaissons et choisissons le moyen propre à la fin, que bien rarement nous prenons le bon chemin. Il semble que je deviens meilleur et plus profond. Sur le tard, j’ai eu son image très vivante devant moi : de profil, à mon côté, sur le canapé ; avec un fichu vert. C’est dans des situations et dans des vêtements caractéristiques que je m’en souviens le plus volontiers. Toute la soirée, pensé à elle très intimement. Dieu, jusqu’ici, m’a conduit charitablement. Il continuera de le faire. »

Et le journal se poursuit ainsi durant trois mois, apportant avec régularité les mêmes souvenirs et les mêmes petits faits : promenades, travail, repas, petites fêtes, visites à la tombe de Sophie, musique sous les tilleuls et