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FRAGMENTS

sance spirituelle peut être exprimée par l’acte de manger. Dans l’amitié, on mange réellement de son ami, ou bien l’on vit de lui. C’est un véritable trope de substituer le corps à l’esprit, et, au repas funéraire d’un ami, par une audacieuse imagination transcendantale, de manger sa chair à chaque bouchée, de boire son sang à chaque gorgée. Cela paraît absolument barbare au goût efféminé de notre temps, mais qui vous dit de songer immédiatement à la chair et au sang grossiers et corruptibles ? L’assimilation corporelle est assez mystérieuse pour être une belle image du sens spirituel ; — et d’ailleurs, la chair et le sang sont-ils vraiment si répugnants et si peu nobles ? En vérité, il y a ici plus que de l’or ou du diamant, et le temps n’est pas loin où l’on aura une idée plus haute des corps organiques. Qui sait quel sublime symbole est le sang ! Précisément, ce qui répugne dans les parties organiques permet de soupçonner quelque chose de très élevé en elles. Nous frémissons devant elles comme devant des spectres et, avec une terreur semblable à celle qu’éprouvent les enfants, nous pressentons en ce mélange singulier un monde mystérieux qui pourrait être une vieille connaissance. — Mais, pour en revenir au repas funéraire, ne pourrait-on supposer que notre ami soit maintenant un être dont la chair pourrait être le pain et dont le sang pourrait être le vin ? — De cette façon, nous jouirions tous les jours du génie de la nature, et chaque repas deviendrait un repas commémoratif, un repas qui nourrirait l’âme en même temps que le corps, un moyen mystérieux de