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FRAGMENTS

avait eue d’abord contre la foi catholique se transforma peu à peu en haine contre la bible, contre la foi chrétienne, et finalement contre la religion même. Bien plus, la haine de la religion s’étendit très naturellement et logiquement à tous les objets de l’enthousiasme, détruisit la fantaisie et le sentiment, la morale et l’amour de l’art, le passé et l’avenir, et plaça l’homme au rang des êtres naturels que domine la nécessité. Elle fit de l’infinie musique créatrice de l’univers, le tictac monotone d’un moulin monstrueux, qui, mis en mouvement par les flots du hasard, et flottant sur lui, n’était plus qu’un moulin en soi, un moulin sans constructeur et sans meunier, un véritable Perpetuum mobile, un moulin qui se moulait lui-même. Un seul enthousiasme était généreusement laissé à la pauvre humanité, et devenait l’indispensable pierre de touche de la plus haute culture, à savoir l’enthousiasme pour cette belle et grandiose philosophie, et surtout pour ses prêtres et pour ses mystagogues. La France eut le bonheur de devenir le siège de cette foi qui n’était composée que de science. Si décriée que fût la poésie en cette Église nouvelle, il s’y trouva néanmoins quelques poètes qui se servaient encore des anciens ornements et des vieilles lumières, mais qui risquaient ainsi d’incendier, grâce à d’antiques flammes, le nouveau système de l’univers. Mais des initiés plus habiles savaient immédiatement inonder d’eau froide les auditeurs qui s’échauffaient déjà. Ils s’occupaient sans répit à purifier de toute poésie, la nature, le sol, l’âme humaine et les sciences ; à détruire