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INTRODUCTION

rables et de ses colères les plus brutales, des événements mille fois plus sublimes, que ses rugissements ne peuvent point troubler, et à travers les agitations superficielles de la jalousie se poursuit une existence inaltérable que le génie de l’homme n’a montrée jusqu’ici qu’en passant.

Est-ce de là que naît la tristesse qui monte des chefs-d’œuvre ? Les poètes ne purent les écrire qu’à la condition de fermer leurs yeux aux horizons terribles et d’imposer silence aux voix trop graves et trop nombreuses de leur âme. S’ils ne l’avaient pas fait, ils eussent perdu courage. Rien n’est plus triste et plus décevant qu’un chef-d’œuvre, parce que rien ne montre mieux l’impuissance de l’homme à prendre conscience de sa grandeur et de sa dignité. Et si une voix ne nous avertissait que les plus belles choses ne sont rien au regard de tout ce que nous sommes, rien ne nous diminuerait davantage.

« L’âme, dit Emerson, est supérieure à ce qu’on peut savoir d’elle et plus sage qu’aucune de ses œuvres. Le grand poète nous fait sentir notre propre valeur, et alors nous estimons moins ce qu’il a réalisé. La meilleure chose qu’il nous apprenne, c’est le dédain de tout ce qu’il a fait. Shakespeare nous emporte en un si sublime courant d’intelligente activité, qu’il nous suggère l’idée d’une richesse