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18 LES rOÈTES SOCIAUX Comme on laisse passer de l'ea sale que coule... Je les comprends, ces gens, ils sentent bon, lis ont des effets neufs, on est noir de charbon; Moi, je file en silence. Je ne leur en veux pas, On n'est point né des jours de soleil ici-bas, On était fait pour le chagrin, eux pour la chance... Je ne leur en veux point : eux sont intelligents, Ils vont tard à l'école, on est de pauvres bêtes. Ils sont sûrs de la vie, leur vie est une fête. Nous, on a peur de vivre : on est de pauvres gens. On travaille pourtant jusqu'à la mort, les Anges S'il en est, le voient bien : probable que la chair Des pauvres ne vaut pas le pain triste qu'ils mangent, Mais Dieu sait bien aussi qu'on le fait payer cher ! Tenez, il est des heures Où je me prends le front entre les poings, et pleure : Mais, mangez-le, votre or, défoncez-en vos poches. Les heureux, ayez tout, des chevaux, des catins, Je n'ai pour vous ni haine ni reproche. Je ne vous connais pas, vous êtes trop lointains, Vous ignorez ma vie Et j'ignore la vôtre et n'en ai point d'envie. Mais qu'au moins je n'ai pas chaque jour le souci D'interroger demain... — Que réclamez-vous donc ? vous en avez du pain ! — Un peu de beurre avec, un peu d'amour aussi ! Hélas ! pour le peu d'amour Qu'on rencontre en la route humaine, Où pourtant chacun à son tour Connaît la malchance et la peine ! Les gens ne veulent plus s'aimer, frères, entre eux; Allez, il est des heures Où je cache en mes mains mes pauvres yeux qui pleurent... Il n'est donc rien pour consoler les malheureux?... En revenant le soir, je vois des portails sombres S'ouvrir, avec, au fond, des ors, des vitraux bleus ; Si l'on entrait prier, ça repose un peu, l'ombre. Enfant, j'avais douceur d'entrer aux angélus;