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mouillaient comme les yeux d’une femme. Les deux natures qui se disputaient cet être extraordinaire, qui à coup sûr devait être l’honneur du sexe qu’il daignerait choisir, se livraient de terribles et furieux combats dont vous pouvez découvrir quelques traces dans ses lettres. Ce combat dura longtemps entre l’âme de cette femme et l’esprit de cet homme. Mais voyez ce singulier combat, qui pourtant vous explique parfaitement la victoire de l’un et la défaite de l’autre, même dans ce combat des deux natures si diverses ; le genre de combat était mesuré dans George Sand, c’était l’homme qui avait peur, c’était la femme qui allait en avant. À la fin, cependant, l’homme l’emporta, à condition qu’il obéirait aveuglément aux passions de la femme. George Sand se dépouilla de cette seconde nature qui n’était pas la sienne. Il se fit ce qu’il voulait être, un homme avec l’instinct, l’art, le goût, l’intelligence d’une femme ; une femme avec le courage, l’audace, le scepticisme d’un homme ; maintenant il était libre de tout devoir même envers elle-même, elle était affranchie de tout respect, même pour lui-même ; le lien qui les réunissait dans la même âme, l’une et l’autre, celui-ci et celui-là, fut brisé par la femme au profit de l’homme ; et brisé, je puis le dire, violemment et brusquement, sans pitié, et avec autant d’énergie et de courage que s’il se fût agi de briser un devoir.

Une fois son maître, une fois un homme, George Sand ne démentit pas sa nouvelle nature. Cette fois il fit le livre d’un homme. Il écrivit Indiana, et ce livre, dès qu’il eut paru, causa, dans le monde littéraire, une vive et profonde sensation. En effet, jamais, depuis qu’on écrit des romans en France, jamais, depuis Gil Blas et Manon Lescaut (je dis Manon Lescaut et Gil Blas !) on n’avait jeté sur la société un regard plus profond, plus sûr ; mais