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George Sand rentra dans l’humble trou qui lui servait d’asile. Là il s’interrogea sérieusement et lentement pour savoir si enfin il serait assez fort pour mettre au jour les vérités et les paradoxes cruels, les passions si diverses qui l’avaient jeté, lui si novice et si ignorant des choses du monde, au milieu d’une révolution. Après le premier instant de réflexion, l’enfant se mit à l’œuvre, comme un homme d’action qu’il était. Il fit un roman en quatre volumes in-12, écrit tout d’une haleine, et il le jeta pêle-mêle et en toute confiance au milieu d’idées bonnes et mauvaises. Il tenait sa plume ; il n’avait jamais été si heureux ni si jeune. Quand ce premier roman fut achevé, il fallait trouver un libraire. Alors, prenant sa canne et son chapeau, et après avoir relevé de son mieux ses longs et épais cheveux bruns, George Sand alla voir l’eau couler, et le vent souffler, et les jolies filles parées reluire au soleil.

Cependant, à force de chercher un libraire, il en trouva un qui, voyant un auteur si alerte et si dégagé lui proposer en riant, un mauvais roman écrit en moins de quinze jours, consentit à tenter l’aventure et voulut bien hasarder quatre cents francs sur les quatre volumes de cet auteur inconnu qui riait si volontiers de lui-même et de son livre. — Quatre cents francs pour quatre volumes de moi, c’est beaucoup, disait George Sand ; et l’argent du malheureux libraire fut, toujours en riant, jeté dans un coin de la chambre, jusqu’à ce qu’il fût parti, écu par écu.

Ce premier roman, Rose et Blanche, ressemble tout à fait à un livre qui serait écrit par deux plumes différentes et dont l’alliance était impossible. On dirait deux écrivains d’une école opposée, réunis par le hasard, séparés par la pensée aussi bien que par le style, et qu’un lecteur un peu exercé ne saurait jamais confondre. L’un, clair,