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la passion


Candide passion, dont l’unique remords
Est de ne pas tuer ceux que tu favorises,
Quand l’immobile ardeur et les yeux qui se brisent
Ont fait se ressembler le désir et la mort…

Mais l’antique Nature, indolente et lassée,
Rêveuse sans vigueur dont nous sommes issus,
À chaque instant défait l’étincelant tissu
Que nos mains suspendaient à sa gorge glacée.

Et l’on vit résistant, révolté, gravissant
L’échelle imaginaire où frémissent les anges,
Et toujours la Nature, indécise, mélange
Sa brume hostile et froide à la splendeur du sang.

Et l’on s’efforce en vain, jusqu’à ce que, malade,
Redoutant sa rançon, craintif, irrésolu,
Le pauvre espoir humain, enfin, ne puisse plus
Tenter fidèlement l’intrépide escalade !

Et c’est sans doute ainsi qu’un jour plus morne encor,
À l’heure où dans la nuit l’aube terne se lève,
Sans désir, sans amour, sans révolte et sans rêve,
Les corps désabusés consentent à la mort…