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en écoutant schumann

Jeunes gens enivrés, dans les nuits de Cologne,
Qui contemplez la lune éparse sur le Rhin !
Carnaval en hiver, quand la froide bourrasque
Jette au détour des ponts les bouquets et les masques,
— Minuit sonne à la sombre horloge d’un couvent, —
Un falot qui brillait est éteint par le vent…
— Et puis, douleur profonde, inépuisable, avide,
Qui monte tout à coup comme une pyramide,
Comme un reproche ardent que ne peut arrêter
La trompeuse, chétive, amère volupté !
— Ô musique, par qui les cœurs, les corps gémissent,
Musique ! intuition du plaisir, des supplices,
Ange qui contenez dans vos chants oppressés
La somme des regards de tous les angoissés,
Vous êtes le vaisseau dansant dans la tempête !
Avec la voix des morts, des héros, des prophètes,
Dans les plus mornes jours vous faites pressentir
Qu’il existe un bonheur qui ressemble au désir !
— Pourtant je vois, là-bas, dans l’ombre dépouillée
Du jardin où le vent d’automne vient gémir,
Les trahisons, les pleurs, les âmes tenaillées,
La vieillesse, la mort, la terre entre-baillée…