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cantique

L’été, de tous côtés sur le temps refermé,
Noie de lueurs l’azur, étale et parfumé ;
La montagne bleuâtre a l’aspect héroïque
Du bouclier d’Achille et des guerriers puniques,
Et je me sens pareille à quelque aigle hardi
Dont le vol palpitant touche des paradis !
Mais je ne puis t’aimer !
Mais je ne puis t’aimer ! — Étincelants atomes,
Jardins voluptueux, confitures d’aromes,
Baisers dissous, coulant dans les airs qui défaillent,
Chaude ivresse en suspens, lumière qui tressaille,
Navires au lointain se détachant du port,
Promettant plus d’espoir que la gloire et que l’or,
Dont le pont clair est comme un pays sans rivage,
Ressemblant au désir, ressemblant au nuage,
Et dont les sifflements et la sourde vapeur
Dispensent un diffus et sensuel bonheur !…
— Ô sifflets des vaisseaux, mugissements languides,
Nostalgiques appels vers les îles torrides,
Sourde voix du taureau, plein d’ardeur et d’ennui,
À qui Pasiphaé répondait dans la nuit !…
— Non, je ne puis t’aimer, tu le sens ; les dieux mêmes
Sont venus vers mon cœur afin que je les aime ;
Laisse-moi diriger mes pas dansants et sûrs
Vers mes frères divins qui règnent dans l’azur !
— Mais toi, lorsque le soir répandra de son urne
L’ardeur mélancolique et les cendres nocturnes,