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le chant du printemps


Hélas ! c’est le passé, ce courage ingénu,
Ce sublime désir de mourir et de vivre
Que ma jeunesse avait quand je vous ai connu,
Vous, qui fûtes la page insigne dans le livre !

Hélas ! c’est le passé, ce parfum dans le vent,
Cet émoi dans les airs, ces grelots des voitures,
Cet orgueilleux besoin d’être encor plus vivant,
Et de recommencer, puisqu’hélas ! rien ne dure !

Ainsi je me croyais mêlée au renouveau,
Je ne suis que l’ardente et grave prisonnière
Qui sur ses poignets las sent le poids des anneaux,
Qui pleure sur la route et regarde en arrière !

Hélas ! c’est le passé que je cherche toujours,
C’est vers lui que j’allais ! Comme s’il est possible
De retrouver le sacre unique de l’amour,
Et d’aborder encore à cette île sensible
Qui, désormais, n’a plus de barques alentour,
Et luit sur l’onde comme un roc inaccessible
Où des archers courants nous ont choisis pour cible…