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vers écrits sur les champs de bataille


Mais pour que soient domptés ces iniques transports,
Nous irons aujourd’hui parmi les tombes vertes
Où les croix ont l’éclat des mâts blancs dans les ports ;
Et nous suivrons, le cœur incliné vers les morts,
La route de l’orgueil qu’ils ont laissée ouverte.

Voix des champs de bataille, âpre religion !
Insistance des morts unis à la nature !
Ils flottent, épandus, subtile légion,
Mêlés au blé, au pain, au vin des régions,
Hors des funèbres murs et des humbles clôtures.

— Un jour, ils étaient là, vivants, graves, joyeux.
Les brumes du matin glissaient dans les branchages,
Les chevaux hennissaient, indomptés, anxieux,
L’automne secouait son vent clair dans les cieux,
Les casques de l’Iliade ombrageaient les visages !

On leur disait : « Afin qu’une minute encor
Le sol que vous couvrez soit la terre latine,
Il faut dans les ravins précipiter vos corps. »
Et comme un formidable et musical accord
Ces cavaliers d’argent s’arrachaient des collines !

Ivre de quelque ardente et mystique liqueur,
Leur âme, en s’élançant, les lâchait dans l’abîme.