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— Nuit paisible, pareille aux rochers des torrents
Vous laissez émaner des parfums froids et tristes,
Et dans votre caveau, pâle et grave, persiste
L’âme des premiers temps, et les esprits errants.

Est-ce un lointain rappel des heures primitives
Où l’inquiet désir se défiait du jour,
Qui fait que nous aimons votre lampe plaintive,
Et qu’on se croit la nuit plus proche de l’amour ?

— Vous êtes aujourd’hui songeuse et solennelle,
Nuit tombale où se meut l’odeur d’un oranger ;
Je veux tracer mon nom sur votre blanche stèle,
Et méditer en vous avec un cœur figé.

Mais, hélas ! je ne peux diminuer ma plainte,
Je suis votre jet d’eau murmurant, exalté,
Mon cœur jaillit en vous, épars et sans contrainte,
Vaste comme un parfum propagé par l’été !

Pourquoi donc, douce nuit aux humains étrangère,
M’avez-vous attirée au seuil de vos secrets ?
Votre muette paix, massive et mensongère,
N’entr’ouvre pas pour moi ses brumeuses forêts.