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l’auberge d’agrigente

— Sur le seuil échaudé du misérable hôtel
Où l’air piquant cuisait des touffes de pivoines,
Deux chevaux dételés, mystiques, solennels,
Rêvaient l’un contre l’autre, auprès d’un sac d’avoine.

La mer, à l’infini, balançait mollement
L’impondérable excès de la clarté lunaire.
Les chèvres au pas fin, comme un peuple d’amants
Se cherchaient à travers le sec et blanc froment :
L’impérieux besoin de dompter et de plaire
Rencontrait un secret et long assentiment…

La nuit, la calme nuit, déesse agitatrice,
Regardait s’amasser l’amour sur les chemins.
Une palme éployait son pompeux artifice
Près des maigres chevaux qui, songeant à demain,
Aux incessants travaux de leur race indigente,
Se baisaient doucement.
Se baisaient doucement. Dans le moite jardin,
Vous méditiez sans fin, ô palme nonchalante !
Que j’étais triste alors, que mon cœur étouffait !
Un rêve catholique et sa force exigeante
M’empêchait d’écouter les bachiques souhaits
De la puissante nuit qui brille et qui fermente…

Et j’aimais ta douceur pudique et négligente,
Palmier de Bethléem sur le ciel d’Agrigente !