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palerme s’endormait…

— Creusant l’ombre, écrasant la route caillouteuse,
L’indolente voiture où nous étions assis
S’enfonçait dans la nuit opaque et sinueuse,
Sous le ciel nonchalant, immuable et précis ;
C’était l’heure où l’air frais subtilement pénètre
La pierre au grain serré des calmes monuments ;
Je n’étais pas heureuse en ces divins moments
Que l’ombre enveloppait, mais j’espérais de l’être,
Car toujours le bonheur n’est qu’un pressentiment :
On le goûte avant lui, sans jamais le connaître…
Dans un profond jardin qui longeait le chemin,
Des chats, l’esprit troublé par la saison suave,
Jetaient leurs cris brûlants de vainqueurs et d’esclaves.
Sur les ployants massifs d’œillets et de jasmins,
On entendait gémir leur ardente querelle
Comme un mordant combat de colombes cruelles…
— Puis revint le silence, indolent et puissant ;
La voiture avançait dans l’ombre perméable.
Je songeais au passé ; les vagues sur le sable
Avec un calme effort, toujours recommençant,
Déposaient leur fardeau de rumeurs et d’aromes…
Les astres, attachés à leur sublime dôme,
De leur secret regard, fourmillant et pressant,
Attiraient les soupirs des yeux qui se soulèvent…
— Et l’espace des nuits devint retentissant
Du cri silencieux qui montait de mes rêves !