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un abondant amour…


Je n’ai pas pu sauver le meilleur de moi-même,
Ces larmes, ces efforts, ces courages, ces freins,
Dont j’ai su tour à tour rompre mon cœur extrême,
Ou le fermer avec des lanières d’airain.

Ample comme les flots, et comme eux volontaire,
J’ai fait plus que lutter, j’ai contredit le sort,
Et détournant mes yeux de la vie étrangère,
Délaissant les vivants, j’ai voulu plaire aux morts.

Je m’arrête à présent, et me laisse conduire
Par les jours entraînants qui mènent au tombeau ;
Que m’importe le temps qui me reste à voir luire
Un monde qui me fut trop cruel et trop beau.

Je m’arrête, et me livre à ta bonté nouvelle,
Cher être, où je m’achève enfin. Je t’ai choisi
Pour le point de départ de ma vie éternelle ;
Déjà mon cœur en toi jette un cri adouci.
Je me lie à ton âme où se meuvent des ailes,
Et mon esprit, qui fut l’immense fantaisie,
Veut languir, les yeux clos, dans ta haute nacelle,
Délivré de l’espace et de la poésie…