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LAMENTATION


J’ai honte de mes yeux, qui songent ou s’élancent,
Accablés, attentifs, hardis.
Les garçons de vingt ans ont tous un coup de lance
Qui les fixe au noir paradis !

Qui pourrait tolérer cette atroce injustice,
Cette effroyable iniquité ?
Nature, fallait-il que de ces morts tu fisses
Remonter un candide été !

Et la terre mollit en un brouillard qui fume ;
C’est un long gonflement d’espoir.
Les arbres, satisfaits, se détendent et hument
Le calme respirant du soir.

Mon âme pour toujours a perdu l’habitude
De son attache avec l’éther ;
Tout m’éloigne de l’ample et vague quiétude
Du cynique et tendre univers.

À présent qu’ont péri ces épiques phalanges,
Hélas, on voit trop vos dédains.
Triste espace mêlé de soleil et de fange,
Qui vous détournez des humains !