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CEUX QUE LA JOIE ENIVRE…


L’étrangère cité sur qui la chaleur tremble.
Les odeurs d’un jardin bues dans l’obscurité,
Les orchestres errants des nuits siciliennes,
La mer, fécond parfum plein de complicité,
Enfin, tous les appels, sont des marchands qui viennent
Déployer les trésors de la félicité,
Dont le faste rêveur vers le désir nous mène…

— Car voici deux humains qui se sont reconnus !
Que leur importe un monde éblouissant ou nu ?
Ces deux humbles vivants, resserrés dans l’espace,
Dont les regards, les bras, les genoux sont liés,
Ne cherchent, dans la sombre ardeur qui les terrasse,
Ni les jardins d’Asie et ses chauds espaliers.
Ni le lac langoureux sur qui des barques passent.
Ni ces soirs infinis où l’espoir se prélasse.
Mais le bonheur restreint et sans fond d’oublier…
— Oublier ! Perdre en toi tout l’univers trop tendre,
Engloutir dans ton cœur l’eau d’or des ciels d’été,
Précipiter en toi, pour ne jamais l’entendre,
Le chant silencieux fusant de tous côtés,
Faire de notre amour une tombe profonde
Où parfums, sons, couleurs, s’épuisent, enfermés ;
Abolir l’éphémère, envelopper les mondes.
N’être plus, être toi, dormir, mourir, aimer !…