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LE CHANT DU FAUNE


Mais quoi ! Je t’ai captée et ne suis pas heureux !
J’ai vu ton corps dansant et pareil à la source
Arrêter dans mes bras sa palpitante course,
Et ce suave don me rend sombre et peureux !

Moi, faune des coteaux brûlés de Syracuse,
Qui vis pâlir l’azur à la mort du dieu Pan,
Aujourd’hui où ton cœur sur le mien se répand,
Praxô, rêveuse enfant, je souffre et je t’accuse !

Entends-moi, je suis vieux, j’ai l’âge de ces bois.
Le soleil m’a séché, je vais bientôt rejoindre.
Tandis que l’avenir court vers toi pour t’étreindre,
Les sphères dont le chant me touchait par ta voix !

Avant de te connaître en ta fureur céleste,
Je t’aimais sans regrets et te haïssais moins,
Je ne prévoyais pas ta force ardente et leste
Qui prend, dans le plaisir, les mondes à témoin.

Comment donc oublierais-je, âme perpétuelle.
Ce grand accroissement de ton corps vers les cieux,
Et l’appel effaré qui montait de tes yeux
Vers la nuit ordonnée et les lois éternelles ?