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CELUI QUI MEURT


Et toute sa chétive et faible exactitude.
Nul n’est semblable à lui : qui meurt n’a pas d’égaux.
Rien ne peut ressembler à cette solitude !

Ô corps mourant à qui plus rien n’est marié !

— L’Histoire passe avec ses canons, ses lauriers,
Son tremblement qui moud les routes et les mondes !
Mais cet enfant qui meurt ne sait. La lune est ronde
Au haut du calme ciel où tous les yeux humains
Se posent sans conflit, cependant que les mains
S’acharnent à tuer. Où sont les camarades
De cet enfant qui meurt ? Mais les reconnaît-on
Ces guerriers dans la nuit, ces obstinés piétons
Qui n’ont jamais fini de servir ? À tâtons
Ils continuent l’épique et sombre promenade.
— Et que pourraient-ils dire à celui-là qui meurt ? —
Que vous avez vaincu, cher être, on est vainqueur
Quand on est ce mourant sous les astres. Naguère
Un homme seul, pareil à vous, sans qu’on l’aidât
Et sans que nul scrutât son suprême mystère,
Mourut, pareil à vous, sans se plaindre, les yeux
Semblables à vos yeux pleins d’espace. Ô soldats,
Dont le sang juvénile a coulé sur la terre,
Soyez bénis, chacun, comme peut l’être un dieu,
Christ de la monstrueuse et de la juste guerre !


Juillet 1917.