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ÉBLOUISSEMENT

Avec la main qui tremble et l’esprit qui divague !
Matins où l’on était solitaire et vainqueur,
Où l’on sentait courir les fleuves sur son cœur,
Où l’on goûtait, buvant l’aurore sur la cime,
La divine pudeur de se sentir sublime !
Où le désir, à l’aigle audacieux pareil,
Était un arc d’argent qui vise le soleil !
Pensif, l’on se sentait indispensable au monde,
L’on se disait « Ma vie où le désir abonde,
Le flambeau de mes yeux, mon bras tendre et pressant,
Rajeuniront demain l’univers languissant… »
Je me souviens des soirs en mai sur la terrasse,
L’odeur d’un oranger engourdissait l’espace,
Et je sentais, venant par tous les blancs chemins,
Le soir apprivoisé se coucher dans mes mains.
Sans pouvoir distinguer les formes, les visages,
De tout, je me disais « C’est Eros qui voyage. »
Les ailes des oiseaux et les pas des passants
Faisaient un même bruit de désir dans mon sang.
Sous le magnolia, le cèdre, les troènes,
L’odeur coulait ainsi que de chaudes fontaines,
Et, l’âme épouvantée, et le cœur éperdu
Je demandais à l’infini : « Que me veux-tu ? »
La lune, sur la mer mollement agitée,
Par chaque flot mouvant semblait être emportée,
Et sous l’astre laiteux aux bondissants regards,
Toute la mer était blanche de nénuphars…
Je contemplais cette eau luisante, énigmatique.
Je me disais « Là-bas, c’est la puissante Afrique,