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L’OCCIDENT

Sous ses roses tombant par grappes et par touffe,
Partir, fuir, s’évader de ce lourd paradis,
Écarter les vapeurs, les parfums engourdis,
Les bleuâtres minuits, les musiques aiguës
Qui glissent sous la peau leurs mortelles ciguës,
Et rentrer dans sa ville, un soir tiède et charmant
Où l’azur vit, reluit, respire au firmament
Voir la Seine couler contre sa noble rive,
Dire à Paris « Je viens, je te reprends, j’arrive ! »
Voir aux deux bords d’un pont, cabrés comme le feu,
Les chevaux d’or ailés qui mordent le ciel bleu,
Voir trembler dans l’éther les palais et les dômes,
Sentir, en contemplant la colonne Vendôme
Qui lance vers les dieux son jet puissant et dur,
Que l’orgueil fait un geste aussi haut que l’azur !
Attirer dans ses bras, sur le cœur qui s’entr’ouvre,
Le prolongement noir et glorieux du Louvre,
Et pleurer de plaisir, d’ardeur, tendre ses mains
À la ville du rêve et de l’effort humains,
Goûter, les yeux fermés, comme on goûte une pêche,
L’odeur du peuplier, du sorbier ; l’ombre fraîche
Qui dort paisiblement comme l’eau sous un pont,
Sous le feuillage étroit des vernis du Japon !
Toucher, quand la chaleur aux cieux s’est attardée,
Le fusain, le cytise et l’arbre de Judée
Soupirant chaque soir au jardin court et clos
Qui s’avance, sur le trottoir, comme un ilôt ;
Et, bénissant cet air de douceur et de gloire,
Se sentant envahi par la suprême Histoire,