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LE POÈME DE L’ILE-DE-FRANCE


Ni les reines de France au jardin de Versailles,
Ni Ronsard qui naquit dans le vert Vendômois,
N’ont de ce doux pays dont mon âme tressaille
Si bien vu les secrets et tant joui que moi.

Mieux que la voix d’Yseult et de Sheherazade,
Mieux que les pourpres chants du brûlant Saadi,
Tu me plais, clair rosier près de la balustrade,
Où viennent s’assembler les guêpes de midi.

Grande allée ondoyant comme une blonde Loire
Comme vous m’emplissez de sagesse et de feu,
A l’heure où les vapeurs montent comme une gloire
Des rives de la Seine et de l’Oise au cœur bleu !

Ah si j’ai quelquefois désiré voir la Perse,
Si Venise me fut le dieu que je rêvais,
De quel autre bonheur plus tendre me transperce
La douceur d’un beau soir qui descend sur Beauvais.

Bien plus que pour Bagdad dont le nom seul étonne,
Que pour Constantinople ineffable Houri,
Je m’émeus quand je vois dans un matin d’automne
Le clocher de Corbeil ou de Château-Thierry.

De quel vivant éclat dans ma mémoire brille
Tel doux hôtel de ville et tel archevêché,
Tel énorme cadran avec sa vieille aiguille,
Tel ancien collège avec son toit penché.