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LA NOSTALGIE


Savoir que l’on aura, pour posséder le monde,
Tous les autres étés,
Et goûter cette joie insensible et profonde
D’être sans volupté.

Savoir que c’est demain et non pas ce soir même
Que tout sera si beau ;
Ne pouvoir distinguer, tant l’azur est suprême,
Les pierres du tombeau.

Croire qu’on ne peut pas épuiser sa jeunesse,
Rire sur les chemins,
S’arrêter pour peser l’infini et l’ivresse,
Baiser ses propres mains…

Mais maintenant nos cœurs ne peuvent plus attendre,
Leur force pâlira ;
Le moment le plus beau, le plus vif, le plus tendre,
Il est entre nos bras.

Je regarde le soir qui gagne le platane ;
Ô bel été du soir,
Combien de fois avant que le bonheur se fane
Viendrai-je ici m’asseoir ?

Je pense à vous, passé, loisirs, douces années,
Main faible qui jouait,
Imagination qui fût tant étonnée,
Et pleine de souhaits.