Page:Noailles - Les Éblouissements, 1907.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105
EN FACE DE L’ESPAGNE

Qu’une immense folie appelle, courbe, entraîne,
Au bord tumultueux et bruyant de l’arène
Où, sanglant troubadour, perfide et clair héros,
Un vif adolescent aiguillonne un taureau…
– Provinces de Tolède et de l’Andalousie,
D’où vous vient cette ardente et sourde frénésie ?
Quel trouble ! Quel désir amoureux et dément !
Pasiphaé qui veut le sang de son amant,
Et qui, voyant périr la force qu’elle adore,
Ivre d’un sang vaincu mais si puissant encore,
Dans un même frisson de désir et d’horreur
Unit la jouissance à la divine peur…

Mais je suis là ; mon cœur m’étourdit et me pèse,
Je suis là dans la douce atmosphère française,
Le paysage basque est paisible et sourit ;
Un nuage se forme et pend sur Guéthary.
Je pense à vous, Rodrigue ! à vous, sainte Thérèse !
Et tandis que le soir, comblé de frais parfums,
Mêle d’ombre et d’argent le sable rose et brun,
J’entends derrière l’âpre et petite montagne
Où les doux tamaris sont rangés un par un,
Le sifflement d’un train qui s’en va vers Irun…
– Quel désir j’ai de vous ce soir, divine Espagne !