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L’AMBITION

Dans un jardin d’été que le soleil embrase !
Que ce soit la splendeur, l’enchantement, l’extase,
Qu’enivré, qu’exalté, l’on se sente éternel,
Que le charme du jour et du moment soit tel
Que l’on ne puisse plus prévoir la fin des choses,
Et pourtant, déjà tout s’éteint, déjà les roses
Au soleil de juillet s’entr’ouvrent pour mourir.
Et nous, nous qui voulions tout goûter, tout saisir ;
Nous qui voulions poser, image ineffaçable,
Comme un delta divin notre main sur le sable ;
Nous qui voulons, penchés à des balcons chantants,
Être Yseult, Roméo pendant plus de cent ans,
Qui voulons, ô Venise en ta nuit sans égale
Être l’ardent concert et le feu de Bengale,
Nous qui portons au fond du cœur, au creux des mains,
Les émouvants soleils des sentiments humains,
Nous qui n’avons jamais assez connu la joie
Nous serons le mort noir que l’ombre immense noie,
Nous dormirons les yeux bandés, le front obscur…
L’azur ! avoir aimé si saintement l’azur
Que nos désirs, cherchant leur brûlante compagne
S’inclinaient vers l’Afrique en s’enivrant d’Espagne,
Et mourir, en laissant à d’autres des étés
Je voudrais épuiser sur moi l’éternité…

Ainsi nous serons morts, dans l’ombre et le mystère,
Nous qui savions si bien la beauté de la terre,
Nous dont les chauds regards sur le monde posés
Étaient comme des mains et comme des baisers.