Page:Noël - Fin de vie (notes et souvenirs).djvu/99

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et voilà que d’une voix fort juste, malgré les chevrotements de la soixantaine, il se met à chanter :


J’ai perdu tout mon bonheur,
J’ai perdu mon serviteur,
Colin me délaisse !…


Puis s’interrompant tout à coup :

— Ah mon Dieu ! je n’avais jamais chanté depuis la mort de ma femme !

Et, malgré son envie de pleurer, il s’efforça de rire avec nous, qui, volontiers, eussions pleuré comme lui.

Les souvenirs, chez les vieux, s’enchaînent sans fin les uns aux autres. Le chant des oiseaux, imité par ma mère, m’a rappelé le flageolet de Bertrand, qui me rappelle la clarinette d’un musicien de la garde nationale de Rouen.

Comme je m’étonnais que riche, ami de l’étude, un peu poète, très porté au repos et au bien-être, il se fût incorporé dans la musique militaire :

— C’est une question d’hygiène, me dit-il. Souffler dans la clarinette agit sur le sphincter, ce qui facilite la garde-robe :

« Je joue de la clarinette pour mieux ch… »

Au moins, celui-là ne faisait pas de l’art pour l’art.

Voilà une histoire qui eût fort amusé Flaubert et qu’il n’eût pas manqué de raconter à tous les défen-