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mènerait à Alger d’abord où il lui donnerait publiquement son nom, puis dans son pays où il la présenterait à sa famille.

Elle, à ces mots, oubliait tout, sa vallée, son vieux père, sa patrie, elle ne vivait que par la certitude de l’amour partagé, elle sentait que ce cœur qui battait à côté du sien lui tiendrait lieu de tout ce qu’elle avait aimé jusque-là.

— Et ton fils, lui demanda-t-elle, m’aimera-t-il ?

— Lucien a un caractère essentiellement élevé et loyal, il t’adoptera et te chérira.

— Je serai sa mère, dit-elle de sa voix douce et profonde, il sera mon fils bien-aimé.

Une partie de ce beau plan se réalisa en effet ; le colonel revint ; aux yeux de tous, c’était un marchand arménien ; le léger accent étranger qu’il avait conservé en parlant l’arabe était amplement expliqué par son origine. Il portait toujours ses belles marchandises d’Occident qu’il échangeait contre les produits de la vallée. Dans la kasbah du chef, il avait une place privilégiée : Muzza l’aimait.

Son arrivée était un jour de fête ; à son départ, chacun pleurait.

Il était de la famille ; ses idées d’honneur et de fidélité au devoir étaient les mêmes que celles de la vaillante race qui l’avait adopté.

Sur un seul point, l’accord n’était pas complet : les chrétiens et la France !

Oh ! cette France qui profanait le sol béni de la patrie, comme Muzza la détestait !

Et cependant il se taisait, il finissait par écouter son hôte, car Pierre disait que la France était le centre de toute civilisation, le foyer de toute noblesse et de toute grandeur, qu’à l’ombre de son drapeau tout ce qui