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— Nous n’oublions jamais, nous, reprit-elle lentement au bout de quelques minutes.

Et ses yeux mourants s’en allèrent du côté de Cadillac évoquer l’image de l’absente bien-aimée.

— Malheureuse enfant, répéta Jacques, tu m’as trompé ! Pourquoi n’avoir pas eu confiance en moi !

— Parce qu’elle m’a déclaré qu’elle le voulait à tout prix, que c’était elle qu’il aimait, que je n’étais rien, rien pour lui… Ah ! ce jour-là, j’ai compris que ma vie était finie. Et puis, protester contre elle, ma mère ! Oh ! non !… jamais !

Jacques se sentait devenir fou de rage et de douleur.

— Cependant, reprit Marguerite d’une voix entrecoupée, j’ai été vaillante, tu pourras le dire à Marianne ; j’ai bravement lutté, je me suis tue, je l’ai évité, lui, qui était tout pour moi !… Je n’ai jamais supporté son contact, à peine sa présence ; je suis devenue hautaine et mauvaise avec lui ; j’ai fait plus, j’ai essayé avec toute ma volonté d’effacer cette image de mon âme. Les racines étaient trop profondes, pour les arracher j’ai brisé mon cœur, et… je n’y ai pas réussi.

— Cruelle, cruelle enfant, dit Jacques, ta vie aurait dû être si belle !…

— Ne me plains pas, mon ami, j’ai reçu les derniers baisers de Marianne, ma vraie mère ; je ne devais plus vivre !… Tu ne sais pas tout !…

Sa figure avait revêtu une expression de profond désespoir, son accent était devenu tout à coup si amer, que Jacques, entrevoyant quelque chose d’horrible, tressaillit.

— Que veux-tu dire, Marguerite, s’écria-t-il. Ah ! malheureuse !…

Elle leva la main ; dans un geste sévère, elle l’étendit :