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Un soir, Jacques était là, absorbé plus que jamais dans une muette contemplation.

Il revoyait Marianne, et l’illusion était telle qu’il entendait distinctement le son de sa voix.

Elle lui disait une foule de choses familières, il apercevait ses grands yeux humides et doux briller à côté de lui, il la sentait, pressant sa main…

Comme il l’aimait toujours !… Elle, rien qu’Elle !… que n’aurait-il pas donné pour la revoir !… se prosterner à ses pieds !… la délivrer ! l’emporter au bout du monde !…

Mais non ! Quel désespoir !… Il était seul, à jamais seul !…

Il faisait une nuit de mai splendide et lumineuse ; la terrasse était déserte.

Dans les salons, on jouait des proverbes et on riait.

Au bord de la Beyre, le grand silence du soir n’était interrompu que par le bruit monotone de l’eau qui passait sur la digue d’un moulin, le vent se taisait et semblait écouter le frissonnement mélancolique des feuilles ; dans les grands buissons de jasmin, les rossignols gazouillaient à peine ; on aurait dit que rien n’osait troubler la sublime harmonie de la nature enveloppée des voiles du soir.

Peu à peu, cependant, au milieu de cette muette obscurité, sous les clartés indistinctes qui tombaient des étoiles, un charme étrange s’empara de Jacques. Il maîtrisa sa douleur. Sa pensée atteignit des hauteurs inconnues jusqu’alors.

La solitude ne lui apparut plus comme un gouffre béant où sa jeunesse allait à jamais se perdre, mais bien comme une épuration et une épreuve viriles après lesquelles il atteindrait enfin le bonheur.

Quel bonheur ? Voir satisfaire le rêve de sa vie, pos-