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dévouait pour quelque héroïque et peut-être inutile folie, mais ne voulant à aucun prix en convenir. Je n’ai donc aujourd’hui qu’une seule manière de vous prouver cette innocence à laquelle je crois, comme à l’air qui nous fait tous vivre, et que ni vos yeux ni les miens n’ont cependant jamais vu, c’est de vous dire en faisant appel à tout votre honneur, à votre droiture, à votre discernement, à votre connaissance des gens et des choses : Voici la vie de celle que je défends.

On vous l’a montrée tout à l’heure, avec un remarquable talent, mais dans une situation qui n’a jamais été la sienne. Ce que je vais vous raconter, moi, je ne l’ai pas déduit de faits isolés et partiaux ; j’ai vécu dans la maison de M. de Sauvetat, entre tous les membres qui composaient la famille ; j’ai étudié leur vie au jour le jour, et quoi qu’on vous ait certifié, je puis vous jurer que ni mon cœur ni mes yeux n’ont été abusés.

En parlant ainsi, sa voix était lente, grave et triste. On voyait qu’au plus profond de son cœur, en effet, il lisait dans ses souvenirs.

Son émotion commençait à gagner tout le monde.

Il poursuivit :

— Mais qui est-elle, d’abord ? d’où vient-elle ?

Lorsque je pouvais le savoir, je ne l’ai pas voulu. Un soir, il y a de cela quelques années, sa bouche s’est ouverte pour me raconter la chose ignorée ; mais ses yeux étaient remplis de larmes, sa voix s’éteignait dans une douleur profonde. Elle revoyait sans doute cette créature dont le souvenir reste à jamais saint et vénéré dans le cœur de chacun de nous ; l’aveu qu’elle avait à faire devait toucher sa mère morte ; j’ai aussitôt pensé à la mienne, Messieurs ; j’ai senti à ce moment avec quelle inexprimable souffrance, il me faudrait avouer la