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plus que l’enfant qui avait si souvent dormi dans mes bras. Cet être par lequel j’avais connu les seules joies de ma vie, sans lequel je ne voulais pas vivre, je devais m’en séparer, le désespérer !…

Souffrir n’est rien encore, mais faire souffrir ceux pour lesquels on donnerait son sang, quelle torture !…

Jacques ! vous auriez vraiment pu avoir à défendre une criminelle, car cette nuit-là j’ai compris l’assassinat et la vengeance ! Et si ma raison n’a pas succombée c’est que, sans doute, mon père veillait sur moi !

Hélas ! je devais me taire ! je ne pouvais même pas te consoler par l’âpre bonheur d’une confidence, et j’ai dû te voir pâle, désespéré, me dire comme tout à l’heure : Vous ne m’aimez pas !… Miséricorde ! moi ne pas t’aimer !… Et il m’a fallu te voir partir chancelant, affolé, ne voulant plus vivre, maudissant toutes choses, toi, mon bien suprême !

Tu me parlais de douleur, il y a un instant, de sacrifices, de regrets, de séparation ? Les as-tu comptées mes larmes à moi, ces larmes versées loin de toi et que nul n’a essuyées ? Sais-tu que chacune de tes souffrances avait son contre-coup dans mon cœur ; que chacun de tes découragements me jetait dans des désespoirs pendant lesquels ma raison et ma volonté m’abandonnaient. Que de fois alors j’ai voulu partir, pour aller frapper à ta porte seule, à pied, dans la nuit, comme une mendiante, pour te dire : Tiens, prends-moi je suis, après tout, celle que tu as choisie, ta femme, fuyons ensemble, oublions tout ce qui n’est pas nous ! Y a-t-il sur terre autre chose que l’amour ?

Oui, il y avait ce devoir pour lequel je vivais sans toi, qui me volait à toi, mon idole ; ce devoir qui m’empêchait d’être tienne et de te consoler.