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Ton bien, ton cœur, toi !… Dire à tous : je lui appartiens et je l’aime ! c’est pour moi qu’il travaille, c’est à moi qu’il pense dans ses luttes et ses labeurs. Si jamais ses vaillantes idées, ses opinions généreuses créent un danger autour de lui, c’est sur moi qu’il s’appuiera, c’est mon amour qui le consolera de tout. Si jamais aussi le désespoir ou l’exil tombent sur lui, ne serai-je pas là pour le sauver, guérir ses blessures, le suivre aux extrémités de la terre, lui reconstituer partout une famille, un foyer, une patrie ?

Quelle tâche dont il serait le but pourrait être au-dessus de mes forces ? Y aurait-il même un sacrifice dans la chose la plus dure lorsqu’il serait là, lui, mon ami, mon maître, ma vie, mon amour ?

Notre bonheur était de ceux que la société protège, et que la famille bénit ; aussi, le soir, lorsque ton pas approchait de cette terrasse où je t’attendais, il me semblait voir ma mère, derrière les buissons noirs, me sourire et m’approuver.

Mais voilà qu’au milieu de mon rêve, en plein paradis, le lendemain du jour où nos âmes s’étaient fiancées, où je m’étais promise pour toujours, un horrible malheur me frappe comme un coup de foudre.

Cette liberté que j’allais aliéner, cette vie dont j’allais disposer ne m’appartenait plus. Je redevenais la maudite, la victime expiatoire acceptée et voulue par la destinée. Une fois de plus le devoir me reprenait, un devoir que je ne soupçonnais pas la veille, devoir austère, ingrat, qui ne porterait avec lui que déceptions et calomnie ! Ah ! quel réveil ! Je marchais en pleine lumière, le front dans le ciel. Quelle chute, quelle obscurité, quelle boue, quel enfer ! Et, chose mille fois plus terrible ! il me fallait briser et torturer celui que j’aimais plus que le souvenir de ma mère,